Gabon : comment le clan Bongo a perdu le soutien de l’armée

Le président du Gabon Ali Bongo Ondimba a été renversé par un coup d’Etat militaire, le 30 août, quelques heures seulement après qu’il a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle organisée trois jours auparavant. Les militaires qui ont pris le pouvoir mettent ainsi fin à 56 ans de règne ininterrompu des Bongo (père et fils) à la tête du pays. L’universitaire Jean-Philippe Gunn décrypte cette nouvelle donne politique.

Que peut-on dire des dernières élections en termes de “liberté et d’équité” ?

Les dernières élections au Gabon ont montré encore l’inféodation des institutions de l’Etat au pouvoir politique. La disqualification de certains candidats par l’organe chargé des élections montre cette faiblesse. Ces élections gabonaises ne montrent rien de nouveau en termes de liberté et d’équité. Même si elles ne sont pas entachées de violences, la liberté démocratique n’a pas été respectée lors de ces élections. Pour preuve, la communication internet a été coupée, ce qui constitue une atteinte à la liberté d’information.

L’interdiction faite aux médias internationaux de couvrir ces élections afin de donner une vision objective du processus électoral montre une absence de liberté dans ces élections au Gabon. Le couvre-feu instauré tout juste après les élections montre également une atteinte à la liberté fondamentale.

Pour ce qui est de l’équité, tous les candidats n’ont pas été logés à la même enseigne. Le candidat sortant disposait des moyens de l’Etat qu’il a utilisés à sa guise pour battre campagne. De plus, l’absence des bulletins du candidat de l’opposition dans certains bureaux de vote et la fermeture de certains bureaux de vote ne montrent pas une équité dans ces élections.

Le chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE) Joseph Borrell a également affirmé “qu’au Gabon il y avait eu des élections pleine d’irrégularités”. Il renchérit en affirmant que “si l’on truque des élections pour obtenir le pouvoir, c’est aussi une façon irrégulière de chercher à exercer ce pouvoir”.

Quelles sont les faiblesses du paysage politique du Gabon ?

Le paysage politique gabonais a été phagocyté par le régime au pouvoir durant 56 ans. Il faut noter que la famille Bongo avait la mainmise sur le pays. La pérennisation du régime Bongo (père et fils) a entraîné une patrimonialisation du pouvoir politique. L’hérédité politique installée au Gabon a favorisé la faiblesse de la classe politique. L’opposition n’existe que de nom. Sa voix est inaudible face au rouleau compresseur du pouvoir en place. L’opposition ne dispose pas de moyens logistiques et financiers nécessaires pour affronter le pouvoir des Bongo.

Par ailleurs, tous les responsables de l’opposition ont, à un moment donné, milité au parti au pouvoir et ont été ministres ou présidents des institutions. Cette accointance avec le régime en place constituait aussi une faiblesse car ils étaient redevables au pouvoir en place dans l’évolution de leurs vies privées et professionnelles.

Comment les gens ordinaires s’en sortent-ils ?

Le Gabon est un pays pétrolier et dispose aussi d’autres ressources minières importantes. Mais la grande majorité de l’économie repose sur le pétrole. D’après le rapport de la Banque africaine de développement (BAD), le Gabon a enregistré une croissance économique de 3,1 % en 2022 contre 1,5 % en 2021. Les bénéfices de la rente pétrolière ont favorisé cette performance. En dépit de ces indicateurs encourageants, le Gabon est considéré comme un pays pauvre. D’après la BAD, le taux de pauvreté est estimé à 34,4 % en 2021. Le chômage reste élevé et avoisine 28,8 % de la population.

Les Gabonais ont subi l’inflation (4,3 % en 2022) liée à la COVID-19 et la crise liée à la guerre en Ukraine. La flambée des prix a entraîné une paupérisation des couches moyennes. Malgré les mesures prises pour contrer l’augmentation des prix, la majorité des Gabonais vit dans la pauvreté. Ainsi les Gabonais ne profitent pas pleinement des richesses de leur pays. Une minorité s’est accaparée des richesses du pays, ce qui fait du Gabon un pays de paradoxe. Le soutien d’une partie importante de la population aux militaires putschistes montre le rejet du régime Bongo.

Quelle est l’histoire de l’armée dans les affaires du pays ?

Les forces armées gabonaises ont été créés en 1960. Contrairement aux autres pays d’Afrique francophone qui ont eu des régimes militaires, le Gabon n’a pas eu à subir pareille situation. Il est difficile de déceler une intervention directe des militaires dans les affaires du pays. Toutefois, il est clair que les officiers et l’armée en général sont redevables au clan Bongo. Les hauts gradés de l’armée gabonaise ont accumulé des richesses grâce au commerce de bois précieux et autres minerais. Tout montre que le clan Bongo a favorisé la politique de “enrichissez-vous et laissez-nous le pouvoir”.

Beaucoup d’officiers et hauts gradés de l’armée ont également contracté des liens matrimoniaux au sein de la famille présidentielle. Ces relations ont donc permis à ces officiers de se voir propulser au sommet de la pyramide politique, c’est-à-dire, occuper des postes stratégiques dans l’administration. Le long règne de Bongo père et fils a favorisé le couple pouvoir politique civil et l’armée.

Pour preuve, le régime s’est toujours appuyé sur l’armée pour réprimer les contestations, notamment celle de 2016 lors des élections présidentielles. Lors des dernières élections, l’armée a été appelée pour “sécuriser” le pays tout juste après les opérations de vote avant de montrer à la face du monde sa volonté de renverser le pouvoir en place. A la différence de 2009 et 2016, l’armée gabonaise a fait irruption dans le jeu politique en mettant fin au régime des Bongo.

D’après les putschistes, l’objectif du coup d’Etat est d’éviter une violente crise post-électorale et surtout de restaurer les institutions étatiques inféodées au pouvoir. Selon eux, une transition est créée pour mettre en place de nouvelles institutions indépendantes du pouvoir politique. C’est le début d’une nouvelle histoire de l’armée gabonaise dans les affaires du pays.

Le coup d’Etat au Gabon n’est pas totalement comparable à ceux du Sahel. Il est plus interne et n’est pas le résultat des velléités idéologiques et de domination entre les puissances mondiales. Il ne résulte pas non plus d’une révolution ni d’un sentiment anti-français comme on le remarque au Sahel.

Pour preuve, le drapeau russe n’a pas été affiché par les manifestants qui ont acclamé ce putsch. De plus, le Gabon ne subit pas des pressions terroristes pouvant fragiliser le pouvoir en place. Le contexte géopolitique de la région est totalement différent de celui du Sahel. Ce coup d’Etat au Gabon est une affaire gabonaise, une révolution de palais.


Auteur

Jean-Philippe Gunn, enseignant-chercheur, Université Sorbonne Paris Nord

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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