La nouvelle version du Nutri-Score, basée sur un mode de calcul mis à jour pour tenir compte des dernières connaissances scientifiques et de l’évolution du marché de l’alimentation, devait entrer en vigueur au 1er janvier 2024. Un an plus tard, la publication de l’arrêté interministériel l’officialisant se fait toujours attendre…
Les consommateurs sont aujourd’hui familiers du Nutri-Score, le logo qui associe 5 lettres à 5 couleurs pour les informer de façon simple sur la qualité nutritionnelle globale des aliments qu’ils trouvent dans les rayons de leurs magasins.
En 2022-2023, un comité scientifique composé d’experts européens a émis des recommandations en vue d’une mise à jour du Nutri-Score, afin qu’il intègre les nouvelles connaissances scientifiques et l’évolution du marché alimentaire (nouveaux produits, reformulations). Cette évolution permet également de corriger certaines imperfections identifiées depuis sa mise en place, afin que le logo soit plus performant et en meilleure adéquation avec les recommandations nutritionnelles les plus récentes.
L’organe de gouvernance transnationale réunissant les représentants des autorités nationales chargées de la mise en œuvre du Nutri-Score au sein de chacun des sept pays qui l’ont adopté (France, Belgique, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne et Suisse) a ensuite validé ces recommandations d’évolution.
Cette version révisée du logo était censée entrer en vigueur au 1er janvier 2024. Si cela a été le cas dans les 6 autres pays dans lequel le Nutri-Score est en vigueur, un an plus tard, la France n’a toujours pas publié l’arrêté interministériel officialisant l’évolution du mode de calcul du Nutri-Score. Pourquoi un tel blocage ? Voici quelques éléments de réponse.
Un arrêté bloqué depuis avril 2024
L’arrêté interministériel officialisant pour la première fois le Nutri-Score et son mode de calcul avait été publié le 31 octobre 2017. Afin de pouvoir le faire évoluer, un nouvel arrêté décrivant les modifications du Nutri-Score actualisé devait être rédigé par les différents ministères concernés (Santé, Agriculture et Économie et Finances).
Ce nouvel arrêté décrivant les modifications actualisant le Nutri-Score a été notifié le 23 octobre 2023 à la Commission européenne avec, en annexe, le nouveau mode de calcul, conformément à la directive (UE) 2015/1535, qui impose aux États membres d’informer la Commission de tout projet de règle technique avant son adoption.
Après la période légale de statu quo de trois mois qui permet à la Commission et aux autres États membres d’examiner le texte notifié et de répondre de façon appropriée, l’Italie a profité du cadre juridique pour émettre un avis circonstancié reprenant des arguments avancés par les lobbys. Cela a eu pour effet de prolonger la période de statu quo de trois mois supplémentaires.
La fin de l’immobilisme (date d’expiration du statu quo permettant à la France d’adopter officiellement son arrêté pour cette notification) est intervenue le 24 avril 2024. À partir de ce moment, le nouvel arrêté pouvait donc être publié en France au Journal officiel. Toutefois, au moment où sont écrites ces lignes, cela n’a toujours pas été fait.
Si les arguments mis en avant pour expliquer le retard, notamment la période de réserve liée aux élections européennes, puis la dissolution de l’Assemblée nationale et la nomination d’un nouveau gouvernement pouvaient s’entendre, depuis plusieurs semaines il n’existe plus aucune raison technique pour expliquer que cet arrêté ne soit pas encore publié.
Une nouvelle version du Nutri-Score qui pénalise plus efficacement les produits défavorables à la santé
La nouvelle version du Nutri-Score pénalise davantage et de façon scientifiquement pertinente les produits sucrés (notamment les céréales petit-déjeuner, les laits aromatisés et les yaourts à boire), les aliments salés (notamment les pizzas industrielles et certains plats préparés), les boissons contenant des édulcorants (quels qu’ils soient), la viande rouge et d’une façon générale aboutit à une notation plus défavorable pour les aliments ultra-transformés. Pour mémoire, ce terme désigne des aliments ayant subi d’intenses transformations physiques, chimiques ou biologiques par des procédés industriels, et auxquels ont été ajoutés des additifs et/ou des ingrédients réservés à l’usage industriel, autrement dit, qui ne sont pas utilisés en cuisine à la maison.
Cette révision, effectuée sur la base des dernières connaissances scientifiques en matière de nutrition par des experts académiques sans liens d’intérêt, a fait l’objet de violentes attaques de la part de certains industriels. Ceux-ci ne voient en effet pas d’un bon œil le fait que leurs produits soient (légitimement) moins bien classés par le nouveau Nutri-Score.
Ainsi Danone, qui affichait le Nutri-Score sur ses marques de produits laitiers depuis 2017, a annoncé début septembre 2024 le retirer de ses marques de yaourts à boire, de ses boissons végétales et de ses boissons protéinées, ne souhaitant pas voir afficher un Nutri-Score défavorable sur ses gammes composées en grande majorité de produits sucrés. Il faut savoir que la plupart des produits de la gamme de yaourt à boire Actimel contiennent autant – voire plus – de sucre qu’un soda, ce qui explique qu’ils se retrouvent classés Nutri-Score D ou E. Il est clair qu’un tel classement relativise les allégations santé indiquées par le fabricant sur l’étiquette de ces produits, fussent-ils enrichis en certaines vitamines.
Soulignons que Danone n’est pas le seul industriel à avoir annoncé retirer le Nutri-Score révisé de certains de leurs produits désormais moins bien classés (c’est par exemple également le cas de Bjorg).
Un délai qui profite aux industriels ?
En 2017, trois ministères avaient paraphé l’arrêté officialisant le Nutri-Score : le ministère de la Santé, le ministère de l’Agriculture et le ministère de l’économie et des finances.
En octobre 2024, les ministres de l’agriculture et de l’économie et des finances avaient affirmé dans la presse que la parution de l’arrêté était juste une question de temps et renvoyé vers le ministère de la Santé… En novembre, l’ancienne ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq (aujourd’hui remplacée par Yannick Neuder) s’était clairement prononcée pour la mise en place du nouveau Nutri-Score.
Pourtant, l’arrêté n’est toujours pas publié, alors qu’il a été rédigé il y a un an, validé il y a six mois, et qu’il est en attente de publication depuis plusieurs semaines. Sera-t-il un jour publié ? On peut s’interroger, tout comme on peut se demander si la clé du problème ne se cacherait pas en réalité derrière l’adjectif « interministériel », les intérêts des uns n’étant pas forcément alignés avec ceux des autres.
Les groupes agroalimentaires, eux, ne sont pas pressés. En effet, tant que l’arrêté n’est pas publié, ils peuvent continuer à afficher l’ancien Nutri-Score, qui est beaucoup plus favorable à certains de leurs produits. Par ailleurs, il est prévu un délai de 2 ans à partir de la signature de l’arrêté (la date de publication au journal officiel faisant foi) pour que les entreprises se mettent en conformité avec le nouveau Nutri-Score (ce délai étant accordé pour théoriquement écouler les stocks et renouveler les étiquettes). Les sociétés qui refusent le (nouveau) Nutri-Score vont donc pouvoir continuer à afficher la précédente version du Nutri-Score pendant ces deux ans.
En 2017, la France a été le premier pays à adopter Nutri-Score. Elle se doit d’être exemplaire en Europe dans l’application de sa nécessaire mise à jour, qui le rend plus performant et en meilleure adéquation avec les dernières recommandations de santé publique. Il est regrettable que certains ministères retardent la publication de cet arrêté, qui pourtant permettrait de mettre à la disposition des consommateurs un Nutri-Score encore plus utile et efficace pour leur santé.
Auteurs
Serge Hercberg, Professeur Emérite de Nutrition Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13) – Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord; Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord; Mathilde Touvier, Directrice de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Inserm et Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAe, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm, Université de Paris, Université Sorbonne Paris Nord, Cnam, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.