Les sciences de gestion : une médecine pour soigner les organisations

L’analogie entre la médecine et les sciences de gestion illustre avec netteté que chaque spécialité – finance, stratégie, RH, marketing, etc. – possède une fonction essentielle à la santé de l’organisation. Le rôle du gestionnaire comme le médecin est de poser un diagnostic précis, avant de prescrire des recommandations adaptées à l’organisation.

Bien que la pratique de la gestion remonte à des temps anciens, la reconnaissance institutionnelle des « sciences de gestion » est relativement récente et reste souvent mal comprise. Ce n’est qu’après une longue filiation avec l’économie, que les sciences de gestion ont fini par acquérir leur autonomie. En 1969, les instances universitaires créent une section « gestion des entreprises », renommée plus tard « sciences de gestion ».

Elles s’intéressent aux dispositifs et agencements organisationnels visant à coordonner l’action afin d’obtenir un résultat. Les sciences de gestion s’occupent notamment de la « santé » des organisations privées ou publiques, petites, moyennes ou grandes, à but lucratif ou non, que ce soit à court, moyen ou long terme. À ce titre, elle se présente comme une discipline comparable à la médecine à plusieurs niveaux.

Comment les sciences de gestion peuvent-elles être perçues comme une médecine des organisations ?

Diagnostic, prescription et suivi

Lorsque le patient consulte un médecin, il décrit ses symptômes – douleurs, fatigue, malaises. Mais ces plaintes ne sont pas toujours révélatrices du problème réel. Un mal de tête persistant peut cacher une tension artérielle élevée. Le rôle du médecin est d’investiguer au-delà de la plainte pour poser un diagnostic précis. Ce dernier va ensuite prescrire un traitement adapté avant d’initier le suivi permettant de vérifier l’efficacité des soins prodigués. Cette démarche, bien ancrée dans la pratique médicale, trouve une résonance fascinante dans les sciences de gestion.

À bien des égards, les organisations ressemblent à des individus ; elles aussi tombent souvent malades. Leurs symptômes peuvent être de plusieurs nature : une baisse de productivité, un turn-over élevé, des conflits internes ou encore l’insatisfaction des clients. Mais, tout comme en médecine, ces signes ne sont souvent que la partie visible de l’iceberg. Le rôle du gestionnaire est de poser un diagnostic précis avant de prescrire des recommandations adaptées, avec une perspective de suivi. Un turn-over élevé pourrait refléter une absence de perspectives de carrière, un management toxique ou encore une rémunération insuffisante. Ce qui va déclencher comme solutions, soit de revoir les politiques RH, soit de former les managers ou d’améliorer les conditions de travail. Ce mode opératoire, structuré en trois étapes, peut être éclairé par l’approche théorique de l’école de Palo Alto.

Cette théorie, avec sa thérapie brève et stratégique, met en lumière trois étapes essentielles : distinguer les plaintes des problèmes réels, analyser les interactions systémiques pour établir un diagnostic précis, et prescrire des actions concrètes pour rompre les schémas dysfonctionnels. Qu’il s’agisse de soigner un individu ou une organisation, le défi reste le même : écouter, comprendre (diagnostic), agir (prescription) et accompagner (suivi). Cette démarche opératoire conjointe révèle toute la richesse et la pertinence des liens entre la médecine et les sciences de gestion. Soigner un individu ou une organisation nécessite avant tout une approche systémique et pragmatique.

Une science aux dizaines de spécialités

Si un sportif se blesse au genou, le généraliste pourrait l’orienter vers un orthopédiste pour réparer les ligaments, suivi d’un kinésithérapeute pour restaurer la mobilité, et éventuellement d’un psychologue pour le soutien mental. De la même manière, lorsqu’une entreprise rencontre des problèmes de distribution d’un produit, le gestionnaire pourrait mobiliser la logistique pour optimiser la chaîne, le marketing pour ajuster sa communication ou la finance pour analyser la rentabilité.

Fondamentalement, il existe une quarantaine de spécialités en médecine. Les sciences de gestion en rassemblent une dizaine : la gestion de la production, la finance, la comptabilité, le marketing, la gestion des ressources humaines, la gestion des systèmes d’information, la stratégie, l’audit, le contrôle, la logistique. Pour ces deux sciences, chaque spécialité répond à des besoins spécifiques et agit comme une partie d’un tout. C’est justement cette dynamique que traite Watzlawick avec l’approche de Palo Alto. Ces spécialités, qu’elles soient médicales ou managériales, ne fonctionnent pas forcément en silo. Elles interagissent en permanence, formant un système où chaque domaine influence les autres.

« Les liens qui unissent les éléments d’un système sont si étroits qu’une modification de l’un des éléments entraînera une modification de tous les autres, et du système entier. Autrement dit, un système ne se comporte pas comme un simple agrégat d’éléments indépendants, il constitue un tout cohérent et indivisible. »

Analogie entre spécialités de gestion et de médecine

Avec une approche métaphorique, chaque spécialité en sciences de gestion peut être rapprochée de domaines médicaux.

– Le marketing s’apparente à la dermatologie, car il se concentre sur l’image externe de l’organisation. Il façonne la perception que les clients, partenaires et concurrents ont de celle-ci, tout comme la dermatologie s’occupe de la peau de l’être humain et de son apparence corporelle.

– La finance joue un rôle similaire à celui de l’hématologie. Elle assure la gestion des flux monétaires essentiels à la survie de l’organisation, tout comme l’hématologie veille à la circulation du sang et à sa qualité pour maintenir l’équilibre du corps humain.

– Les ressources humaines, quant à elles, se comparent à la psychiatrie. Elles se concentrent sur le bien-être psychologique des employés, en prévenant les conflits et en favorisant la motivation et des relations harmonieuses au sein de l’organisation.

– Le contrôle de gestion, à l’instar de la cardiologie, surveille les flux internes – qu’ils soient financiers, matériels ou humains – afin d’assurer une utilisation optimale, garantissant ainsi la bonne performance de l’organisation.

– La comptabilité, de son côté, fonctionne comme la radiologie. Elle offre une vision claire et détaillée de l’état financier interne de l’entreprise, permettant de détecter d’éventuelles anomalies avant qu’elles ne deviennent des problèmes majeurs.

– La stratégie est proche de la neurologie. Elle est responsable des décisions majeures qui orientent l’ensemble de l’organisation, tout comme le cerveau dirige et coordonne les fonctions vitales du corps.

Ces analogies, bien que non exhaustives, illustrent bien comment, tout comme en médecine, chaque spécialité en sciences de gestion a une fonction essentielle pour le bien-être et la santé de l’organisation.

Deux sciences, un défi commun : l’IA

Les sciences de gestion présentent des similitudes fonctionnelles avec la médecine, notamment en termes d’objectifs de « soin », d’approches méthodologiques, de diversité et de la nature de leurs spécialités. L’analogie est tout autant vraie sur leurs enjeux respectifs. L’utilisation de l’IA pour les diagnostics et les traitements soulève des questions de responsabilité en médecine. De même, en sciences de gestion, L’IA intervient avec l’automatisation des décisions et leur impact sur les employés et l’organisation.

La question principale qui se pose ici est d’ordre éthique : jusqu’à quel point peut-on confier la vie des individus ou des organisations à des algorithmes ? Comment équilibrer l’intelligence humaine et artificielle pour qu’elles cohabitent harmonieusement dans les deux domaines ? À condition que l’IA s’intègre dans les pratiques professionnelles en sciences de gestion comme en médecine, il devient essentiel de se poser également la question de la formation et de la carrière des praticiens.


Auteur

Brice Isseki, Maitre de conférences en sciences de gestion et du management, Université Sorbonne Paris Nord

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