La France connaît une recrudescence de punaises de lit qui fait l’actualité. Comment expliquer ce phénomène ? Quelles mesures s’avèrent réellement efficaces pour lutter contre ces insectes ? Arezki Izri, parasitologue et entomologiste médical (hôpital Avicenne-APHP, Université Sorbonne Paris Nord), fait le point sur les données qui font consensus et celles qui font débat.
The Conversation : Pourquoi la France connaît-elle une recrudescence de punaises de lit ?
Arezki Izri : Le phénomène ne date pas d’hier. Les punaises de lit ont commencé à réapparaître en France au tout début des années 90 alors qu’elles avaient été éliminées auparavant par les insecticides. Deux causes principales ont été identifiées : les voyages (les insectes étant transportés dans les bagages) et la résistance des punaises de lit aux insecticides.
Les Français voyagent beaucoup et peuvent ramener des punaises de lit de partout et les touristes du monde entier sont nombreux à venir en France, ce qui favorise la propagation de ces insectes.
D’autres facteurs interviennent comme la récupération de meubles d’occasion qui peuvent être parasités. Attention aussi à nos comportements et à nos réactions ! Que deviennent les meubles et matelas dont on se débarrasse et qui, éventuellement, contiennent des parasites ? Ils sont repris par d’autres personnes…
Néanmoins, si une personne trouve une punaise de lit dans un train, cela ne veut pas dire que tous nos trains sont infestés. À partir de rares cas, on ne peut pas faire une généralité. En juillet 2022, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a mené une enquête, en collaboration avec l’institut de sondage Ipsos, auprès d’un échantillon de 2000 personnes représentatives de la population française. D’après cette enquête, 11 % des ménages français auraient été infestés par les punaises de lit entre 2017 et 2022. Cette enquête montre également qu’il n’existe pas de lien entre le niveau de revenu d’un foyer et le fait d’être victime d’une infestation.
[Selon l’Anses, un faible niveau de revenu ne favorise pas l’infestation par les punaises de lit. Mais du fait du coût des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre ces insectes – près de 900 euros en moyenne par foyer selon les estimations de l’agence – l’infestation peut durer plus longtemps dans des foyers plus modestes, ndlr.]
T.C. : Pourquoi les punaises de lit sont-elles devenues résistantes aux insecticides ?
I.A. : On a commencé à recourir aux insecticides contre les punaises de lit depuis les années 40, ce qui a permis de tuer les punaises de lit qui y étaient sensibles. Aujourd’hui, les insecticides principalement utilisés contre les punaises de lit appartiennent à la famille des pyréthrinoïdes. On les classe dans les neurotoxiques car ils pénètrent au niveau du système nerveux de l’insecte.
Les mécanismes à l’origine de la résistance des punaises de lit à ces insecticides sont désormais bien documentés. Il s’agit essentiellement de mutations génétiques modifiant les récepteurs neurologiques des insectes à ces produits.
Les pyréthrinoïdes pénètrent au niveau d’un orifice de la fibre nerveuse de la punaise de lit, ce qui paralyse l’insecte et le tue. Mais certaines punaises de lit, du fait d’une mutation au niveau de leur ADN, présentent une modification de cet orifice qui empêche l’action de l’insecticide. C’est pourquoi elles deviennent résistantes aux pyréthrinoïdes.
C’est un peu comme si l’insecticide était une clé et le nerf de l’insecte une serrure. Chez les punaises de lit présentant cette malformation au niveau de l’orifice de la fibre nerveuse, la « clé insecticide » ne rentre plus dans la « serrure nerf de l’insecte ». Les punaises de lit « anormales », c’est-à-dire celles qui présentaient cette malformation, se sont ainsi multipliées.
Cependant, ce phénomène est beaucoup plus compliqué qu’on ne le pense, parce que cohabitent en permanence des punaises de lit sensibles aux insecticides et d’autres qui y sont résistantes. En effet, quand on élimine les punaises de lit sensibles aux insecticides, celles qui survivent (parce qu’elles sont résistantes aux insecticides) peuvent donner naissance non seulement à de nouvelles punaises résistantes, mais aussi à des punaises de lit sensibles. Tout cela est une question de génétique. Mais en continuant à utiliser des insecticides, on sélectionne de plus en plus les punaises de lit résistantes.
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T.C. : Pourquoi l’Agence de sécurité sanitaire (Anses) recommande-t-elle malgré tout le recours aux insecticides dans son rapport publié en juillet 2023 ?
I.A. : J’ai participé au groupe de travail de l’Anses. Pour lutter contre les punaises de lit, elle recommande de privilégier les méthodes non chimiques, comme le traitement par la chaleur sèche ou la congélation.
Concrètement, le nettoyage par la chaleur peut s’opérer par l’intermédiaire d’un appareil professionnel qui diffuse une chaleur sèche pouvant aller jusqu’à 180 °C ou via des nettoyeurs vapeur (dont la vapeur monte à des températures allant de 110 à 180 °C) que l’on peut acheter ou louer. Les petits objets et le linge non lavable peuvent, quant à eux, être placés pendant 2 heures au congélateur à – 20 °C.
Mais effectivement, au sein du groupe de travail, certains experts défendaient le recours aux insecticides contre les punaises de lit. L’Anses préconise donc de « faire appel à des professionnels de la désinsectisation en cas de persistance de l’infestation ».
Toutefois, j’ai exposé une position divergente, mes arguments étant présentés en annexe du rapport. Avec le laboratoire de parasitologie-mycologie de l’hôpital Avicenne à Bobigny et la mission punaises de lit de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, nos travaux sur la résistance aux punaises de lit ont fait l’objet de trois publications scientifiques. Nos articles viennent enrichir un ensemble de plus de 200 publications scientifiques qui confirment la résistance aux différents insecticides dans le monde.
(Dans son rapport, l’Anses indique que « l’usage intensif d’un insecticide nuit à son efficacité en augmentant le risque de sélection d’individus résistants ». Elle rappelle également que l’effet répulsif de certains insecticides favorise la dispersion des punaises et que cette « lutte chimique » peut avoir des effets sur la santé humaine et l’environnement, ndlr).
T.C. : Quelles sont les conséquences pour la santé humaine ?
I.A. : La punaise de lit dispose d’une trompe qu’elle replie sous son abdomen quand elle est au repos. Pour piquer, elle pointe sa trompe dans la peau et va chercher les vaisseaux sanguins pour faire son repas de sang.
Les boutons surviennent sur les parties du corps découvertes. Toutefois, toutes les personnes ne développent pas de boutons après avoir été piquées par des punaises de lit et un certain nombre des sujets piqués ne présentent que des boutons de petites tailles. Les boutons de grande taille sont observés chez les sujets qui développent une allergie à la salive de l’insecte.
Mais la piqûre d’une punaise de lit ne donne pas de maladie infectieuse. À ce jour, aucune épidémie de maladie infectieuse transmise par les punaises de lit n’a été décrite.
T.C. : En pratique, comment savoir si un lieu est infesté par des punaises de lit ?
I.A. : D’abord, il faut apprendre à reconnaître cet insecte. À l’œil nu, une punaise de lit ressemble à un pépin de pomme qui se déplace rapidement. Elle apparaît de couleur rousse. Quand il sort de l’œuf, l’insecte, qui mesure moins d’un millimètre, est transparent et donc quasi invisible. Mais il va tout de suite prendre un repas de sang en piquant, ce qui va le colorer en rouge. A noter que cinq stades larvaires sont nécessaires avant que la punaise de lit devienne adulte.
Ensuite, chez soi ou quand on se rend dans un hôtel, il faut apprendre à inspecter la literie, en soulevant les draps, le matelas, etc., à la recherche des petites taches noires qui correspondent aux déjections fécales des punaises de lit.
Quand on intervient au début de l’infestation, par les méthodes mécaniques (ramasser et laver les textiles à 60 °C, passer l’aspirateur et jeter aussitôt le sac puis appliquer de la vapeur sèche aux endroits suspectés d’être les cachettes de l’insecte), on peut éliminer les punaises de lit sans trop de difficultés.
Auteurs
Arezki Izri, Entomologiste médical et parasitologue, Université Sorbonne Paris Nord
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.