Étudiants et alimentation : quand la volonté d’engagement se heurte aux difficultés quotidiennes

Si les jeunes adultes (18-25 ans) sont fortement préoccupés par la crise environnementale et se déclarent pour les deux tiers d’entre eux particulièrement engagés sur ce sujet, ils n’adoptent pas toujours des pratiques de consommation durables.

Cette dissonance entre leurs aspirations et leurs comportements s’observe en particulier dans le domaine alimentaire. Alors que les étudiants plébiscitent très majoritairement un engagement plus fort de l’État et des services de restauration universitaire dans la transition écologique, ils sont aussi moins nombreux que les générations plus âgées à adopter des pratiques alimentaires durables (limitation de sa consommation de viande, tri des déchets, réduction des emballages…).

Améliorer la situation pourrait passer par une plus grande implication des étudiants dans la conception des interventions nutritionnelles qui les concernent. Explications.

De nombreux étudiants victimes de précarité alimentaire

L’entrée à l’université s’accompagne souvent d’une émancipation du foyer familial, d’un sentiment de liberté et d’une affirmation de ses propres choix. Dans ce contexte, l’alimentation participe aussi à la construction de l’identité de ces jeunes adultes. Mais l’émergence d’un « soi alimentaire » est contrariée par les nombreuses contraintes qui pèsent sur les étudiants, notamment économiques.

Depuis la crise du Covid-19, des efforts sont menés pour mesurer la précarité alimentaire étudiante. La dernière enquête nationale menée par l’Observatoire de la vie étudiante révélait ainsi que 46 % des étudiants se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire. Celle-ci est définie comme le fait de ne pas avoir un accès régulier à suffisamment d’aliments sains et nutritifs pour une vie active et saine.

Les chiffres sont toutefois disparates, avec 18 % d’insécurité alimentaire rapportée à l’université de Rouen Normandie, 43 % à l’université Grenoble Alpes, et 78 % à l’université de Guyane.

Si les difficultés financières sont globalement très répandues chez les étudiants, elles ne doivent pas masquer la diversité de leurs profils alimentaires et de leurs aspirations.

Des étudiants aux profils et envies hétérogènes

Des travaux menés à l’université de Bourgogne et publiés en 2023 permettent de mieux cerner les profils des étudiants. Après avoir établi leurs pratiques alimentaires ainsi que leur profil sociodémographique et leur mode de vie, les auteurs de cette étude ont pu identifier trois profils différents, selon la qualité nutritionnelle de l’alimentation et son impact environnemental (ces deux dimensions étant en partie indépendantes l’une de l’autre) :

  • Le premier groupe (20 % de l’échantillon de 600 étudiants) pouvait être considéré comme celui adoptant une « alimentation saine » : les étudiants qui le composaient étaient plus âgés, avec un niveau d’activité physique plus important, ainsi qu’une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle, mais dont l’impact environnemental était aussi plus élevé ;
  • Le second groupe (40 % de l’échantillon), comportant davantage d’étudiants vivant encore chez leurs parents, était celui dont l’alimentation présentait la moins bonne qualité nutritionnelle, tout en ayant également un impact environnemental élevé ;
  • Le dernier groupe (40 % de l’échantillon), comprenant davantage d’étudiants vivant seuls, adoptait une alimentation dite « frugale », avec l’apport énergétique le plus faible, une qualité nutritionnelle intermédiaire et un impact environnemental faible.

De la même façon, les résultats de la Consultation nationale étudiante 2023, menée par le RESES (Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire – regroupement de 140 associations étudiantes qui mènent des projets liés aux enjeux socioenvironnementaux tels que l’alimentation, la biodiversité, le climat, les déchets, etc.), ont permis de distinguer trois groupes d’étudiants selon leur réponse aux enjeux écologiques : les « éco-actifs », les « non agissants » et les « anti-écologistes ».

Si l’on veut mettre en place des solutions adaptées à tous les étudiants, il est important de tenir compte de ces disparités, plutôt que de traiter l’alimentation étudiante selon une approche monolithique.

Comment accompagner la volonté d’engagement des étudiants ?

Beaucoup d’étudiants souhaitent que les services de restauration universitaire s’engagent pour une alimentation plus durable, en proposant par exemple des produits locaux, de saison et biologique et des options végétariennes, et en réduisant les emballages plastiques. Co-construire avec eux les interventions susceptibles d’améliorer leur alimentation pourrait permettre de concilier leur envie d’engagement et la recherche d’un impact favorable.

Malheureusement, les étudiants sont peu souvent consultés lorsqu’il s’agit de mettre en place et d’évaluer des interventions nutritionnelles dans les campus : une revue de la littérature récente révèle que, dans les universités, seul un petit nombre des interventions mises en place ont été co-construites avec des étudiants. Or, il semble justement que ces dernières sont plus efficaces que les interventions conçues uniquement par des chercheurs.

Jusqu’à présent, les interventions conçues pour améliorer l’alimentation étudiante se sont souvent adressées aux étudiants eux-mêmes, par la mise en place de programmes d’éducation nutritionnelle ou de cours de cuisine. Si elles paraissent en premier lieu pertinentes, nous savons aujourd’hui qu’elles sont insuffisantes.

Comme pour le reste de la population, l’alimentation des étudiants est régie par de nombreux facteurs d’ordre socioéconomique, culturel, environnemental et politique. C’est pourquoi d’autres interventions ont été testées dans des restaurants universitaires, telles que l’étiquetage nutritionnel, ainsi que la mise à disposition ou la réduction des prix des aliments plus favorables à la santé et plus durables.

S’inspirer des projets de recherche participative pourrait aussi permettre d’améliorer la situation.

S’inspirer des projets de sciences citoyennes

Impliquer les citoyens dans les projets de recherche constitue le fondement de la recherche participative. Le degré d’implication varie d’un projet à l’autre. Pour certains, il s’agit uniquement de contribuer au recueil des données (le projet Oiseaux des jardins propose par exemple aux participants de compter les oiseaux présents dans leur environnement proche). Dans d’autres cas, les citoyens sont impliqués au côté des scientifiques dans toutes les étapes de la recherche, depuis la définition du protocole scientifique jusqu’à l’analyse des données.

Ce type de participation permet de poser des questions de recherche plus pertinentes, de mieux répondre aux besoins des populations, de favoriser leur engagement, et ainsi d’améliorer potentiellement l’efficacité des interventions.

Cette pratique est encore peu répandue dans les projets de recherche en nutrition, alors même qu’il semblerait pourtant naturel d’impliquer les bénéficiaires d’une intervention dans sa conception… Elle l’est pourtant déjà dans des domaines tels que l’agriculture ou le changement climatique.

Le projet AirGeo, par exemple, réunit des scientifiques, artistes, acteurs locaux et citoyens pour mettre en place de nouveaux dispositifs de quantification de la pollution atmosphérique adaptés au contexte local, puis agir en faveur d’une meilleure qualité de l’air.

C’est dans cet esprit que l’université Sorbonne Paris-Nord lancera en novembre 2024 sa première Convention Citoyenne Étudiante.

La convention citoyenne étudiante, nouvel espace de prise de parole

À cette occasion, trente étudiants se réuniront pour réfléchir, débattre et établir des propositions concrètes pour concevoir une université favorisant l’accès de toute la communauté étudiante au « bien manger » et « bien bouger ». Ils seront accompagnés dans la rédaction de leurs propositions par des acteurs susceptibles de les mettre en place, tels que des représentants et personnels universitaires, le CROUS de Créteil, les collectivités territoriales et des associations.

Ce type de convention dite « délibérative » est calquée sur le modèle des Conventions citoyennes qui ont été ces dernières années menées à l’échelle nationale (Convention citoyenne pour le climat, Convention citoyenne sur la fin de vie). Il s’agit de donner la parole aux étudiants pour formuler des propositions sur des sujets relatifs à la vie de leur université.

À l’université Paris Est Créteil, où s’est tenue la toute première Convention citoyenne étudiante, les délibérations ayant porté sur le thème de l’alimentation ont abouti à la formulation de propositions variées, applicables à l’échelle individuelle (valorisation des pratiques antigaspi, tutos de cuisine, actions de sensibilisation…) et collective (distribution de paniers bio, mise en place d’un espace cuisine, installation de distributeurs d’eau chaude, amélioration de l’offre alimentaire avec davantage de repas végétariens et une réduction des déchets plastiques…).

À la suite de ces conventions citoyennes étudiantes, l’enjeu principal sera de faire aboutir les propositions des étudiants. Cela nécessitera une collaboration forte et prolongée entre les étudiants, l’institution universitaire et les différents acteurs de l’offre alimentaire locale.


Auteurs

Alice Bellicha, Maître de Conférences, Université Sorbonne Paris Nord;
Henri Dehove, Doctorant en épidémiologie nutritionnelle, Université Sorbonne Paris Nord et
Malo Mofakhami, Docteur en seciences économiques, Maître de conférences à l’Université Sorbonne paris Nord, chercheur affilié au Centre d’étude de l’emploi et du travail du CNAM, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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