Les musées n’ont pas été pensés pour accueillir des enfants et encore moins des bébés. Ces derniers ne sont pas interdits d’entrée, mais seule une minorité franchit leurs portes : les enfants de parents de classes sociales fréquentant les lieux culturels.
Aujourd’hui, ces parents visitent plus confortablement les expositions grâce aux porte-bébés : le musée, comme le marché ou la promenade, fait ainsi partie des expériences d’ouverture au monde de ces tout-petits. Des efforts commencent à être consentis du côté des poussettes, la reconnaissance du bien-être de ce très jeune public fait son bout de chemin un peu partout.
Sur les sites de musées du monde entier fleurissent des propositions adressées aux familles avec bébés, le week-end généralement. Certes, pas encore partout, mais le processus est bien engagé, s’agissant de gagner de nouvelles générations de visiteurs. Derrière cet affichage d’offres, qu’en est-il réellement des expériences vécues par les tout-petits ? Là s’ouvre tout un champ de recherche…
Des actions culturelles précoces contre les inégalités
Si, à des dates différentes, les musées se sont délibérément ouverts aux enfants – bien plus tard en France qu’aux États-Unis notamment, où se sont du reste développés depuis longtemps des children’s museums –, c’est avec le début de ce siècle que la question de la place des bébés s’y pose. Elle s’accompagne d’un autre enjeu, celui de modalités de médiation spécifiques pour toucher ce très jeune public : la nécessité du jeu, du mouvement, de l’émotion, de la multisensorialité, va s’imposer au fil des initiatives, bousculant les pratiques en vigueur avec les enfants des écoles maternelles.
Les recherches scientifiques se sont multipliées, montrant les compétences insoupçonnées des bébés, leur immense curiosité, leur attention esthétique… D’où l’importance des actions culturelles précoces pour leur développement et leur humanisation, mais aussi pour démocratiser la culture et accompagner la parentalité.
Depuis 1989, année de la Convention internationale des droits de l’enfant, s’est développée en France une politique d’éveil artistique et culturel du jeune enfant. Elle a été relancée en 2017 pour toucher davantage d’enfants. Les musées y ont à présent leur place. Aujourd’hui, il y a urgence : les inégalités culturelles ont encore augmenté. Tous les enfants ont droit à la culture ! Avec la mission de Sophie Marinopoulos, c’est de toute une lutte contre la « malnutrition culturelle », aggravée par la pandémie, dont il s’agit.
Associer professionnels de la petite enfance et de la culture
Développer des pratiques de médiation pertinentes avec ce tout jeune public et des actions inclusives de plus grande ampleur exige de collaborer avec les professionnelles et professionnels de la petite enfance. De là dépend la qualité des innovations et de leurs impacts sur les musées, les lieux de la petite enfance et les territoires.
Peu importe qui fait le premier pas vers l’autre, l’important est qu’il se fasse : à Montpellier, ce fut la responsable d’une crèche familiale qui a tapé à la porte du musée Fabre ; à Antibes, c’est la médiatrice du musée Picasso qui est allée vers la petite enfance.
Et que ce premier pas se fasse en pensant à toutes les familles : comme dans les musées de Cagnes-sur-Mer, à l’initiative d’une crèche, ou par les actions hors les murs, comme celles du musée Bonnard du Cannet dans un service pédiatrique ou de mille formes (centre d’art pour tout-petits) dans des quartiers périphériques de Clermont-Ferrand. Ajoutons l’expérimentation exemplaire de l’équipe du Lab de la Cité des bébés à la Cité des Sciences et l’Industrie, avec ses divers partenaires !
Ces expériences et d’autres sont précisément documentées dans Les bébés au musée : leurs cheminements singuliers montrent comment s’entremêlent les cultures professionnelles et se tricotent de nouvelles pratiques de part et d’autre, dans une créativité partagée et l’alliance avec les familles. L’initiative des rapprochements peut venir d’associations ou de personnes, comme au musée d’Aquitaine de Bordeaux, ville dotée d’une chargée de mission d’éveil culturel au sein de la Direction de la petite enfance et des familles.
Tous les musées sont concernés : beaux-arts, art contemporain, muséums de sciences naturelles bien sûr, mais aussi musée des Archives (Bordeaux), du parfum (Grasse)… (à paraître).
Ce que montrent toutes ces expériences, c’est l’importance de « parcours » se construisant au fil de ce qui se vit, se découvre et s’éprouve par tous les protagonistes en présence, adultes et enfants. Avec une orientation de départ, mais qui évolue à l’écoute des enfants, dans le partage des observations. Pas de « one shot » au musée, mais tout un processus et de nombreuses occasions d’y entrer, pour s’y sentir légitime et devenir un « habitant » des lieux. Pas de séance type mais des rencontres singulières, avec les enfants et les adultes singuliers qui y participent.
Créer des expériences uniques
Bref, il s’agit de permettre des aventures uniques, d’où naissent des trouvailles pour la suite. Selon les collaborations engagées, les formes et temporalités des parcours connaissent des déclinaisons variées, avec des alternances judicieusement agencées entre des séances au musée et dans les lieux de la petite enfance.
Cela dépend aussi d’opportunités : la présence d’un jardin dans le musée offre par exemple des espaces pour des ateliers enfants-parents, et même pour l’exposition d’œuvres des enfants comme au musée de la Chartreuse de Douai. L’objectif : la participation pleine de tous, avec sa propre sensibilité.
Un autre constat : le rôle des artistes dans la facilitation et l’enrichissement de ces aventures culturelles, à la fois pour les bébés et les familles mais aussi pour les équipes de médiation et de la petite enfance. Grâce aux divers langages artistiques, leur participation équilibre les relations interpersonnelles et ouvre sur d’autres possibles, en écho avec les œuvres et objets des musées. Citons les performances d’artistes au Quadrilatère de Beauvais, au Centre international d’Art contemporain de Carros ou au muséum des sciences naturelles de La Rochelle.
Des actions culturelles qui relient les personnes (le bébé en est une) en leur offrant des espaces-temps de « nidation culturelle », sont nécessaires pour contrecarrer les dérives sociétales « machinistes », écrivait en 1992 Tony Lainé, co-fondateur de l’association ACCES. Disons-le autrement avec Edgar Morin, ce sont des « oasis de résistance », à commencer par celle aux écrans dont très tôt les bébés deviennent dépendants.
Les musées sont des espaces tranquilles, protégés du tumulte, où se laisser entrainer par la beauté, la curiosité, les émotions dans une plongée dans le patrimoine humain passé, contemporain et en devenir. Laissons-nous emmener par la main ou le doigt des bébés et tout jeunes enfants !
Auteur
Sylvie Rayna, Chercheuse associée à au laboratoire EXPERICE, Université Sorbonne Paris Nord
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.