Mieux intégrer les professionnels de santé réfugiés, dans l’intérêt de tous

Depuis le 5 mars, près de 300 praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) exerçant en France ont entamé une grève de la faim pour demander leur régularisation. Si leur situation commence à être médiatisée, celle des soignants accueillis en France avec le statut de réfugié est encore moins connue, et probablement encore moins enviable. Explications.

En 2024, 158 000 personnes ont demandé l’asile en France dont 67 800 ont obtenu le statut de réfugié. Parmi elles, de nombreux professionnels de santé ou étudiants du secteur médical ou paramédical.

Accueillir ces personnes en tant que réfugiés oblige notre pays à leur offrir les moyens de s’intégrer de manière juste et digne. En outre, à l’heure où les systèmes de santé de nombreux pays européens sont en crise, l’aide de ces réfugiés pourrait s’avérer précieuse. Mais comment leur permettre de trouver des débouchés professionnels correspondant à leurs compétences et à leurs aspirations ?

Pour répondre à cette question et offrir une vue d’ensemble de la situation, un colloque s’est tenu à Paris le 15 janvier 2025. Il a rassemblé des acteurs de la reconnaissance des qualifications de huit pays européens (Allemagne, Autriche, France, Irlande, Pays-Bas, Pologne, Suède, Royaume-Uni), des représentants de l’Organisation mondiale de la Santé et de la Commission européenne, des spécialistes des politiques publiques en santé ainsi que plusieurs réfugiés.

Cet événement, organisé par le Jesuit Refugee Service (JRS France) et l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE) – et soutenu par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés et la Commission européenne – avait trois objectifs : faire le point sur la situation des réfugiés professionnels de santé en Europe ; recenser les actions mises en place par les différents pays européens ; définir des pistes d’action.

Voici ce qu’il faut en retenir.

Des professionnels de santé dans l’impasse

Le constat est partout le même : à la différence d’autres professionnels de santé non européens (praticiens à diplôme hors Union européenne ou Padhue), qui ont pu préparer leur venue en France dans le cadre d’un projet d’immigration ou sont déjà en poste avec des contrats précaires, les réfugiés, provenant de zones de conflit, ont dû quitter leur pays sans réelle perspective.

Les dernières données de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) relatives aux étrangers signataires du contrat d’intégration républicaine (CIR), en date de 2022, permettent de constater qu’il est plus difficile pour les réfugiés professionnels de santé d’exercer une activité dans leur domaine que pour les autres PADHUE.

En effet, parmi les professionnels de santé réfugiés signataires du CIR, seuls 58 sur 597 (soit 10%) avaient retrouvé un travail dans leur domaine en France contre 892 sur 2845 (31,3%) pour les autres étrangers.

Dans le cas où ces personnes ont dû s’exiler avant d’avoir pu terminer leurs études, elles se retrouvent sans diplôme et sans solution satisfaisante pour poursuivre leurs parcours dans le pays d’accueil. De surcroît, posséder un diplôme n’est pas une garantie d’éviter les difficultés. Les soignants concernés ont en effet pu être empêchés d’exercer leur métier pendant plusieurs mois, voire parfois plusieurs années, le temps de l’exil puis de l’obtention du statut de réfugié et du droit de travailler.

En France, les personnels médicaux peuvent, en théorie, tenter les épreuves de vérification des connaissances ou candidater à la procédure de dispense d’années pour recommencer une partie des études de médecine, maïeutique, odontologie ou pharmacie. Mais dans les faits, ils rencontrent beaucoup trop d’obstacles pour y parvenir. Ils viennent en effet de pays où les études en santé sont de niveaux très divers, et se heurtent souvent, de surcroît, au problème de l’absence de connaissance de la langue du pays d’accueil.

La situation des paramédicaux est encore plus compliquée, car, sauf cas exceptionnels de validation des acquis de l’expérience, ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance de leurs diplômes et expériences pratiques antérieures. Ils se retrouvent donc dans l’impasse.

Si des mesures ne sont pas prises pour pallier ces difficultés, les réfugiés renoncent souvent à travailler dans le secteur de la santé, où la pénurie de professionnels est pourtant criante, et finissent par exercer des métiers pour lesquels ils sont surqualifiés.

Au-delà des aspects éthiques de cette situation se pose également une question de droit. En effet, la directive européenne 2004/83/CE précise dans son article 27 que : «les États membres garantissent l’égalité de traitement entre les bénéficiaires du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire et leurs ressortissants dans le cadre des procédures existantes de reconnaissance des diplômes, certificats ou autre titre de qualification formelle.»

Des solutions existent

Les situations de crise vécues ces dernières années, qu’il s’agisse de la pandémie de Covid-19 ou de la guerre en Ukraine, ont prouvé qu’il est possible de mobiliser rapidement des moyens pour permettre aux professionnels de santé réfugiés de travailler sans délai. Une étude comparative de JRS France menée sur treize pays et présentée le 15 janvier a comparé les «meilleures pratiques» dans le domaine de l’information à destination des réfugiés, de la reconnaissance des compétences, de la formation ou de l’exercice professionnel.

Plusieurs pistes d’action ont pu être dégagées. Il serait notamment important de systématiser les pratiques d’évaluation des diplômes et des compétences déjà en cours dans tous les pays européens (France exceptée). Les réfugiés et réfugiées qui peuvent y prétendre doivent se voir offrir des reconnaissances partielles de leurs diplômes et formations, assorties si nécessaire de prescription de formations complémentaires.

Pour définir précisément le niveau des professionnels de santé réfugiés, les Pays-Bas, ont par exemple adopté un test «de progrès», qui se complexifie au fur et à mesure des bonnes réponses. Une formation complémentaire leur est ensuite offerte pour leur permettre d’atteindre le niveau équivalent à celui des nationaux.

Il serait également important, comme c’est le cas au Portugal, de ne pas limiter par des quotas les places offertes dans les facultés de santé aux réfugiés qui ont le niveau requis pour suivre les cours dispensés aux étudiants du pays d’accueil. Il faudrait aussi financer la reprise des études en santé, ainsi que des formations linguistiques et de communication médicale.

L’accès au travail dans le domaine de la santé doit également être amélioré, en développant les autorisations temporaires d’exercice sous supervision ou les possibilités d’exercer à un niveau inférieur de qualification, comme le fait le Royaume-Uni avec la fonction d’«assistant médical» ; cette possibilité suppose un accompagnement et des formations complémentaires, pour permettre aux réfugiés concernés de revenir progressivement à leur métier d’origine.

Enfin, en matière administrative, il faut développer les coopérations entre les ministères concernés, les hôpitaux, les universités et écoles de santé, les ordres professionnels du secteur de la santé, les collectivités territoriales, les associations de défense des réfugiés et les réfugiés eux-mêmes.

Un coût moindre que la formation de novo

Cette approche a certes un coût, mais comme l’a montré une étude réalisée au Royaume-Uni, la remise à niveau des personnes déjà formées dans leur pays coûte moins cher que le financement de cursus entiers qui durent, selon les pays et les métiers, de 3 ans pour les infirmiers à 12 ans pour les médecins spécialistes.

Par ailleurs, ne rien faire pour offrir des débouchés à ces réfugiés-soignants a également un coût, représenté par le financement de leurs périodes de chômage ainsi que leur éventuelle prise en charge médicale et psychologique. Impasse, «avenir bloqué», gâchis : tels sont les termes qui ressortent de tous les témoignages recueillis…

Bien sûr, les réfugiés ne représentent qu’une petite part des non-Européens professionnels de santé comme le montrent les chiffres de l’OFII cités plus haut. Mais ce petit nombre ne doit pas être une excuse pour ignorer la spécificité de ce statut, et notre devoir d’accueillir dignement ces personnes au parcours douloureux. Il peut même être source d’innovation, pour l’ensemble des professionnels de santé non européens, car il est toujours plus facile d’expérimenter de nouvelles méthodes sur de petits groupes que sur de grandes cohortes.


Auteurs

Ce texte a été rédigé avec la participation active de Marion Dollat, praticienne hospitalière et médecin interniste infectiologue à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), ainsi que, au nom de JRS France, de Simone Bonnafous et Irinda Riquelme.

Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) ; Jean-Luc Dumas, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier, Directeur général de la Conférence Internationale des Doyens et des facultés de Médecine d’Expression Française, Université Sorbonne Paris Nord et Jesus Gonzalez, Pneumologue, Alliance Sorbonne Paris Cité (ASPC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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