Menacé de censure, Michel Barnier avait prévu de se rendre en Italie le 5 et 6 décembre pour une visite officielle à la première ministre Giorgia Meloni. Michel Barnier a fait de l’Italie un exemple à suivre en matière de lutte contre l’immigration. Mais quel est le bilan des politiques migratoires de l’extrême droite italienne au pouvoir ?
L’action du gouvernement Meloni dans son opposition à l’immigration irrégulière a été présentée comme un succès et un modèle à suivre, particulièrement en France.
Le gouvernement de Michel Barnier semble vouloir s’inspirer de l’Italie sur trois points au moins : en ce qui concerne le renforcement de l’externalisation des frontières, en prolongeant les délais de rétention des immigrés en situation irrégulière, et enfin pour la facilitation des rapatriements. Mais quel bilan peut-on faire de la politique de Meloni en matière d’immigration ?
Le 26 novembre 2024 environ 60 000 migrants ont atteint les côtes italiennes par la Méditerranée, une réduction considérable si l’on compare ce chiffre avec celui des deux années précédentes.
Selon le gouvernement italien actuel – nommé en octobre 2022 – la diminution des arrivées en 2024 est principalement due à la collaboration avec des pays tels que la Libye et la Tunisie, et notamment aux accords conclus en juillet 2023 entre l’Union européenne et la Tunisie.
Bien qu’il soit difficile de démontrer des liens de causalité dans ce contexte, la coopération avec la Tunisie semble effectivement avoir joué un rôle dans la réduction des arrivées en 2024.
Néanmoins, chercheurs, associations et experts ont un avis plus mitigé sur le « succès » de Meloni.
Les migrants continuent de partir, ils sont emprisonnés, retenus ou meurent ailleurs, loin des côtes de l’UE et en violation de leurs droits fondamentaux.
De plus, les arrivées de migrants sur l’île de Lampedusa se sont poursuivies en 2024, principalement en provenance de Libye.
En outre, il a été objecté que les statistiques limitées à une seule année ou à une seule route (Méditerranée Centrale) n’offrent qu’une vision partielle. Les stratégies italiennes semblent avoir contribué à détourner les flux ailleurs : en 2024 Espagne et Grèce ont enregistré une augmentation des arrivées par la mer respectivement de +155 % et de +222 %.
Si l’on regarde les tendances de long terme, on remarque en outre des mouvements complexes qui semblent échapper aux politiques de fermeture et de contrôle des frontières.
Si l’on prend du recul, on constate que, jusqu’en 2011, le nombre moyen de débarquements en Italie s’est maintenu autour de 15 000 par an, un niveau bien plus faible qu’actuellement. En fait, depuis la fin des années 2000, les arrivées par la mer en Italie ont suivi une tendance fluctuante liée à des facteurs multidimensionnels. Elles ont souvent diminué suite aux accords avec les pays de départ ou de transit – comme c’est le cas pour la Libye en 2008 et 2017 et la Tunisie en 2011 mais elles ont ensuite augmenté.
Une externalisation des frontières inédite ?
On peut aussi se demander si le choix de confier le contrôle des frontières à des pays tiers est un « succès » du gouvernement Meloni.
En réalité, cette politique n’est nullement une initiative de l’extrême droite italienne car plusieurs gouvernements italiens et européens l’ont mis en œuvre depuis plusieurs décennies.
Par ailleurs, ces accords bilatéraux avec les pays tiers ne vont pas sans poser de nombreux problèmes. En effet, la collaboration avec des régimes autoritaires au mépris des droits des migrants, a pour conséquence de renforcer des dictatures, elle a aussi un coût humain très lourd.
On peut également s’interroger sur l’ouverture de centres de rétention et de tri des migrants à l’extérieur des frontières italiennes. En novembre 2023, l’Italie et l’Albanie ont signé un protocole de coopération. Or ce protocole semble déjà montrer toutes ses limites.
Ainsi, en octobre 2024, 16 migrants secourus dans les eaux territoriales italiennes ont été transférés dans un des centres de rétention sur le sol albanais. Quelques jours plus tard le tribunal de Rome a invalidé ce transfert et a ordonné le retour des migrants en Italie.
Au-delà de la propagande
S’il est un succès incontestable du gouvernement Meloni, c’est sans doute sa politique de communication visant à donner une image de fermeté envers l’immigration irrégulière.
En moins d’un an, l’exécutif a adopté de nombreuses mesures visant la criminalisation des ONG engagées dans la recherche et secours de migrants en Méditerranée, la prolongation des délais de rétention, le renforcement des rapatriements, la diminution de la protection juridique et sociale des migrants et des demandeurs d’asile. Or, il a été démontré que l’activité des ONG en mer, faisant l’objet d’une politique de criminalisation depuis au moins 2017, n’a aucune influence sur l’intensité des débarquements en direction des côtes italiennes. De plus, en 2023, l’Italie a rapatrié seulement 4751 migrants et en Europe seuls 27 % des migrants concernés par un ordre d’expulsion ont été effectivement reconduits. Depuis des décennies, les mesures d’enfermement et de retours forcés ont prouvé leur inefficacité à réduire l’immigration irrégulière. Enfin, restreindre l’accès aux droits des migrants ne fait que les précariser et les pousser davantage dans l’irrégularité.
Malgré ces politiques, le gouvernement italien est loin d’avoir tenu toutes ses promesses, et notamment celle d’un blocus naval anti-migrants. En effet, la première ministre avait annoncé une approche basée sur plus de mesures radicales et moins de liens avec l’Union européenne. En pratique, Meloni a fait le contraire : elle a sollicité la coopération de l’UE et n’a pas réussi à mettre en œuvre le blocus naval qui a été un des piliers de sa propagande électorale.
Par ailleurs, elle a dû répondre aux exigences du patronat en garantissant 450 000 titres de séjour pour les travailleurs sur 3 ans. Le système de quotas italien n’en est pas moins un échec puisqu’en 2023, les demandes d’entrée ont été 6 fois plus nombreuses que les quotas fixés et seuls 23 % de ces derniers ont été convertis en permis de séjour. La plupart des travailleurs entrés en Italie par ce canal ont donc sombré dans l’irrégularité et la précarité.
Un modèle pour la France ?
À l’instar des politiques migratoires italiennes, les politiques françaises s’appuient depuis longtemps sur une logique répressive et s’inscrivent dans l’architecture restrictive de l’UE. La France a adopté 118 lois sur le sujet depuis 1945 ce qui n’a pas permis d’arrêter l’immigration irrégulière.
Dans son rapport de 2024, la Cour des comptes a souligné que, depuis 2015, malgré le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures « le nombre global d’entrées irrégulières sur le territoire national s’accroît ».
Les traversées de la Manche vers le Royaume-Uni par des migrants en situation irrégulière se sont accrues de 58 % entre 2021 et 2022. En effet, la limitation des passages terrestres n’a pas empêché aux migrants de trouver d’autres voies – plus dangereuses – ce qui montre, une fois de plus, l’inefficacité des politiques restrictives européennes sur le long terme.
Pour de nombreux chercheurs, ce type de politiques restrictives sont inefficaces et ne contribuent pas à obtenir des solutions structurelles.
Pourtant, un an après la loi Darmanin, le gouvernement de Michel Barnier et son ministre Bruno Retailleau ont annoncé une nouvelle loi immigration pour 2025 inspirée de « l’exemple italien ».
Auteur
Roberto Calarco, Docteur en sociologie, Université Sorbonne Paris Nord
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.